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La gouvernance des forêts urbaines : cas de la forêt Boucher à Gatineau

Créé par Rose Kikpa Bio, doctorat en sciences sociales appliquées, Département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais. Directeur du mémoire de maîtrise : Mario Gauthier. | | Numéro 14, Hiver 2018 | Recherche

Cet article aborde la dynamique environnementale de la forêt Boucher à Gatineau, où de nouveaux acteurs locaux demandent à être impliqués davantage dans la planification et la gestion des biens publics.

La crise de l’État-nation autour des années 1960 a permis une remise en question de la gestion bureaucratique des biens publics(1) et du monopole étatique(2). Particulièrement, la complexité de l’urbanisation et la montée des enjeux environnementaux ont fait des villes des lieux privilégiés où se déploie plus intensément l’action publique relative à la protection du patrimoine naturel. Désormais, plusieurs acteurs se tournent vers une démarche de développement durable pour réintroduire l’environnement, jadis relégué au second plan, dans les politiques d’aménagement(3). C’est dans ce contexte que la forêt Boucher (FB), seule forêt située en plein cœur de la ville de Gatineau, interpelle plusieurs acteurs.

Portrait de la forêt Boucher

La FB est une forêt urbaine non protégée située à l’ouest de la ville dans le secteur d’Aylmer. Sous l’influence de plusieurs pressions, cette forêt a connu une réduction massive de sa superficie, qui est actuellement de 700 acres seulement contre 3 500 acres en 1945(4). Mise en zonage différé en 2005, la FB a aujourd’hui été prise en compte dans l’élaboration du nouveau Schéma d’Aménagement et de Développement (SAD) de la Ville de Gatineau. Une grande partie de la forêt jouit ainsi d’une affectation récréative tandis que le reste de sa superficie est destiné aux développements résidentiels à faible densité (5). Le territoire de la FB fait également partie de l’un des deux éco-territoires de la ville de Gatineau, zones qui comportent une importante aire naturelle. Le SAD prévoit d’ailleurs de créer le parc de la forêt Boucher, qui devra englober les 75 % de la superficie totale actuelle de la FB, ces dispositions urbanistiques devant permettre de ralentir sa destruction. Cependant, la FB est une propriété partagée dont la procédure d’acquisition graduelle apparaît un peu difficile pour la Ville de Gatineau (désignée ci-après « La Ville »), présentement propriétaire de 51% des terres. En effet, si le Ministère du Transport du Québec (MTQ, devenu MTMDET) et le Ministère du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) ne détiennent respectivement que 5% et 2% de la superficie totale, une grande portion de la FB (40%) est encore contrôlée par des propriétaires privés, pour la plupart promoteurs immobiliers de profession. Les 2 % restants sont des propriétés privées déjà habitées(6) qui viennent ajouter d’autres enjeux à l’équation. C’est dans cette dynamique de gouvernance partagée que l’étude du cas de la FB s’avère intéressante pour mieux comprendre les grands enjeux des projets de protection collective du patrimoine environnemental.

Dynamique et gouvernance de la forêt Boucher

Une pléiade d’acteurs, majoritairement des organismes à but non lucratif, est en effet impliquée, de près ou de loin, dans le processus de sauvegarde de la FB(7). Plus particulièrement, la création en 2007, par un groupe de citoyens, de la Fondation forêt Boucher (ci-après, Fondation), a notamment eu pour but d’interpeller les citoyens et les élus afin de donner du poids à la protection de cette forêt et d’en concrétiser la patrimonialisation. La présence de la Fondation est importante et déterminante, car elle contribue à la vulgarisation du projet de protection de la FB. Seule forêt urbaine de la ville, la FB requiert en effet une attention particulière et un attachement social fort de la part de la population afin de pouvoir être pérennisée. Ainsi, la gouvernance de la FB implique la contribution et la collaboration d’un grand nombre d’acteurs. Nous avons d’ailleurs constaté l’existence de mécanismes participatifs impulsés par la Ville, mais aussi par divers organismes à but non lucratif. Toutefois, le fait de se limiter à la tenue de consultations publiques est apparu, de la part de ces instances, comme une coopération essentiellement symbolique(8) visant à contenter la population sans réellement lui donner d’influence directe sur la prise de décision. Le processus de création du parc soulève aussi un débat sur la protection intégrale de la FB, quoique le SAD envisage tout de même d’en préserver 75 % de la superficie. Pour diverses raisons, et notamment afin de doter Gatineau d’une véritable vision en développement durable, certains acteurs insistent sur la nécessité d’efforts supplémentaires de la part de la Ville en matière de protection de la FB. Celle-ci s’avère en effet constituer un véritable atout écologique et économique : caractérisée par une riche biodiversité, sa valeur estimée en biens et services écologiques s’élève ainsi à pas moins de 6 000 000 $(9) par année. Il convient alors de souligner que les intérêts variés et parfois opposés des différents acteurs posent un évident problème de concertation. Épicentre du projet, la Ville collabore toutefois, dans ce processus, non seulement avec les propriétaires privés des parcelles restantes, mais aussi avec des organismes environnementaux concernés par les enjeux de protection. À cet effet, le conseil municipal a adopté à l’unanimité en mai 2017 une première entente de partenariat entre la Fondation et la Ville. Ce protocole d’entente permettra à cette dernière d’élaborer un plan directeur d’aménagement et de développement. Au terme de cette étude, nous pouvons conclure que le processus de création du parc de la forêt Boucher permet d’amorcer une réflexion sur les dynamiques de gouvernance collective, en particulier quant au rôle des municipalités vis-à-vis des citoyens. Le partenariat qui commence à s’établir entre la Fondation et la Ville de Gatineau offre notamment des pistes intéressantes pour l’élaboration d’un nouveau modèle de gestion intégrée de l’environnement.


Références :

(1) Blondiaux, L., 2007. La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique. Mouvements, 50 (2), 118-129.

(2) Le Galès, P., 1995. Du gouvernement des villes à la gouvernance urbaine. Revue française de science politique, 45 (1), 57-95.

(3) Gauthier, M., 2005. Gestion intégrée de l’environnement en milieu urbain: vers un renouvellement des pratiques planificatrices? Revue Organisations et territoires, 14 (3), 59-67.

(4) Charland, C., 2010. La destruction progressive de la forêt Boucher: Hier, aujourd’hui et demain. Rapport d’étude.

(5) Ville de Gatineau, 2015. Schéma d’aménagement et de développement révisé de la Ville de Gatineau : Aménageons le futur ! Rapport [en ligne]. gatineau.ca/docs/guichet_municipal/urbanisme_habitation/reglements_urbanisme/pdf-nouveau/R-2050-2016_schema/R-2050-2016.pdf 

(6) Ville de Gatineau, 2016. Carte du plan de localisation de la forêt Boucher, Service des biens immobiliers.

(7) Kikpa Bio, R., 2016. La gouvernance des espaces verts à Gatineau: cas de la forêt Boucher. Mémoire de maîtrise en sciences sociales du développement territorial. Université du Québec en Outaouais.

(8) Arnstein, S.-R., 1969. A ladder of citizen participation. Journal of the American Institute of Planners, 35 (4), 216-224

(9) Smi Aménatech Inc., 2010. Évaluation écologique de la forêt Boucher. Intérêt écologique et valeur économique. Rapport présenté à la Ville de Gatineau.

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