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Osons sortir de la tour d’ivoire : une main tendue vers la vulgarisation

Créé par Viktoria Miojevic | Maîtrise en science politique, Faculté des sciences sociales | | Numéro 18, Automne 2020 | Varia

J’ai trop souvent senti un décalage entre mes enseignant.e.s et les étudiant.e.s, un peu comme si les deux vivaient dans des dimensions parallèles et que les bouleversements sociétaux ne venaient jamais percuter l’académie. La connaissance mérite-t-elle à ce point qu’on la cloisonne, qu’on la protège ? N’existe-t-il pas des moyens de créer des ponts avec la société plutôt que d’en extraire la connaissance pour la réinjecter dans cette forteresse ?

Vulgariser, trouver une langue commune pour traduire les idées

  • En cours de littérature espagnole, un professeur nous avait initiés à l’adage italien « Traduttore, Traditore ». En un mot, le traducteur serait un traître. Il dénaturerait le style de l’écrivain et l’ancrage culturel de son oeuvre. Ce qu’il avait oublié de nous dire, c’est que sans traducteur, trop peu de personnes auraient accès aux poèmes et romans de Gabriel Garcia Marquez.
  • Vulgariser n’est-ce pas utiliser un autre langage pour parler d’un même objet avec un autre interlocuteur ? Là où la vulgarisation fait débat dans la forteresse, c’est bien que la légitimité de l’institution est fondée sur le langage scientifique. Ce langage qui a permis de nourrir les esprits, tout en les éloignant de la société civile.
  • Les chercheurs ne sont pas outillés à la vulgarisation, car ce n’est tout simplement pas le but de l’institution. Si le chercheur adopte cette deuxième langue de la vulgarisation alors il se convertit en ce traducteur, ce « traître » venant réduire le spectre de la connaissance. Pour la communauté des chercheurs, sans ce langage scientifique si précis, conceptuel et familier, leurs travaux sont dénaturés.
  • Remettre en question les normes du langage scientifique

Pour s’acheminer vers la vulgarisation, il faudrait que les chercheurs puissent remettre en question leur statut et s’adresser à un autre public. Avec la meilleure volonté du monde, le chercheur est pris dans un cercle vicieux, car le langage scientifique est devenu sa première langue. L’intuition évaporée, sans formation à la vulgarisation, le chercheur doit alors désapprendre sa première langue pour s’approprier la grammaire difficile de la vulgarisation. Si elle [la vulgarisation] ne fait pas partie de la formation universitaire initiale, si le chercheur ne connaît pas les réalités du monde social et son langage, et s’il ne voit pas de demande précise de la part de la société, il ne peut pas voir l’utilité sociale d’une telle démarche.

La forteresse est en décalage avec le monde réel, car elle pratique sa propre langue, ce qui a créé une barrière avec la société civile. Le chercheur seul, et non formé à l’exercice, ne peut traverser cette barrière, et, encore moins, sans vocation pour le faire. Les étudiants, quant à eux, peuvent difficilement être acheminés vers la vulgarisation si dans leur parcours « cette deuxième langue » n’était pas une évidence pour l’enseignant.e. La pédagogie n’est pas la vulgarisation. La pédagogie, les lectures et les travaux universitaires ont pour vocation l’appropriation de ce langage scientifique légitime.

Il suffirait d’être bilingue…

Chaque institution, chaque communauté a son langage, ses codes, ses normes. Le problème n’est pas en soi le langage scientifique, mais bien que les traducteurs aient déserté la forteresse ou qu’ils se fassent encore trop rares. S’il existe un langage scientifique, c’est bien qu’il est porteur pour la communauté qu’il rassemble. Néanmoins, un langage sans traducteur (que ce soit l’auteur de l’oeuvre lui-même qui reformule sa pensée ou un interprète) n’aura jamais la portée qu’il mérite. Alors qu’il suffirait simplement d’être « bilingue » le plus tôt possible…

Être « bilingue » induirait une pensée critique du langage scientifique dès le départ afin de l’envisager dans un autre contexte. Il faudrait, dès les prémices, identifier l’utilité sociale de la connaissance, au sens d’une valeur égale entre sa production et sa transmission (à des néophytes). C’est ce décalage entre les deux qui a créé un fossé entre les deux mondes. Produire du savoir est un privilège qui semble être parfois oublié comme tel, ce qui, dans l’isolement de la forteresse, amène la défiance et l’incompréhension de la société civile.

Les journalistes, avec les moyens qu’ils ont, tentent de combler ce vide, mais il faudrait en réalité une collaboration permanente entre les communicants et les chercheurs. Il y aurait là une possibilité de sortir de ce vase clos en alimentant cette deuxième langue, tout en créant de nouveaux outils, de nouvelles plateformes. Si tant est qu’il y ait des deux côtés une volonté réelle de faire des compromis, et la perception concrète d’un intérêt général.

L’opportunité des nouvelles plateformes de diffusion

Les mots qui précèdent caricaturent bien évidemment la posture des universitaires. Ils sont eux-mêmes soumis à des contraintes, des normes et des contextes de production de la connaissance différents. Chacun essaye de se forger sa place dans la forteresse en plongeant dans la course à la publication. Ce que je tente de souligner là, c’est qu’à force de courir après la publication, n’en oublierait-on pas les raisons pour lesquelles on court ? À quoi bon galoper derrière la production de la connaissance si personne n’y a accès ? Produire et transmettre sont des postures complémentaires. À mon sens, l’une ne devrait pas prévaloir sur l’autre.

Les nouveaux outils technologiques ont des avantages, la connaissance peut donc avoir d’autres canaux de diffusion. La vidéo, l’image, les réseaux sociaux sont autant d’opportunités de convertir un savoir légitime en un contenu malléable et accessible au plus grand nombre.

Voici quelques idées d’initiatives :

  • Se servir des plateformes vidéo et audio : Youtube, Twitch, Soundcloud…
  • Utiliser de nouveaux formats : les BD, reportages photo, documentaires, baladodiffusions…
  • Trouver de nouvelles formes de narration : l’humour, le récit à la première personne…
  • Actions pédagogiques à mener : participation à des évènements non-universitaires, collaboration avec des organismes locaux, ouverture de cours de vulgarisation…
  • Sur la production scientifique : création de résumés de thèses, introduction de l’image comme outil de communication, vulgariser des livres universitaires…

J’ai successivement évoqué l’université en tant qu’institution, le langage scientifique, la vulgarisation, les plateformes de diffusion et donc questionné le rôle du chercheur. Mais la société civile dans tout cela ? Les gens ont-ils l’envie, la volonté et surtout le temps d’apprendre, de s’informer et de débattre ?

Il serait peut-être de notre devoir de leur demander.

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