Présentation d’une méthode de spatialisation géographique des territoires à risque de pénurie en eau : cas du département du Vaucluse

Créé par Raymond Kabo | Doctorat en sciences géographiques, Département de géographie, Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique de l’Université Laval. Direction : Nathalie Barrette | | Numéro 18, Automne 2020

Les pénuries en eau sont de potentielles crises que les régions semi-arides devront gérer dans un futur proche (1). Pour aider à la gestion de ces possibles crises, un indicateur statistique a été pensé, trouvé et spatialisé sur le territoire du Vaucluse à partir des séquences sèches. Cet indicateur permet d’identifier les secteurs les plus sensibles aux pénuries en eau où il faut prioriser les actions de gestion en situation de crise.

Contexte

Les sécheresses sévères récurrentes sont un réel problème et peuvent évoluer vers des situations de pénuries en eau dans les régions semi-arides (1). Elles créent des tensions et des conflits locaux qui risquent de s’aggraver si de bonnes mesures de gestion ne sont pas mises en œuvre (2). Pour éviter ces situations de conflits et être préparé face à la pénurie en eau, il faut connaitre la fréquence d’apparition de ces sécheresses sévères et localiser les secteurs les plus sensibles où il faut prioriser les interventions (3).

Une combinaison de facteurs favorables à l’apparition de crises (pénuries) en eau

Le Vaucluse est un département de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), située dans le sud-est de la France avec un grand littoral donnant sur la mer méditerranée (4). Le département du Vaucluse est soumis à l’influence du climat méditerranéen et est particulièrement concerné par la question de la fragilité des ressources en eau surtout en période estivale (5). Durant l’été, le Vaucluse reçoit de faibles apports pluviométriques qui traduisent les impacts croissants des changements climatiques, notamment l’augmentation du nombre de jours sans pluies et les sécheresses récurrentes. En même temps, il accueille un nombre élevé de touristes, dû à la qualité de son ensoleillement (6). La combinaison de ces facteurs fait que les cours d’eau locaux sont affectés par une diminution, en quantité et en qualité, de l’offre en eau (Fontaine de Vaucluse, Sorgue, Durance, etc.) (3).

Le Vaucluse est donc susceptible de faire face dans un avenir proche, à des situations problématiques de pénuries en eau, plus critiques dans certaines localités que dans d’autres (6). La compréhension de la dynamique spatio-temporelle du signal « absence de pluies » peut aider à mieux gérer et identifier les secteurs les plus sensibles où il faut prioriser les interventions en situation de pénurie en eau (3). Pour comprendre cette dynamique, la méthode proposée est de chercher et trouver un indicateur statistique qui permet de caractériser le signal « absence de pluies ». Le signal « absence de pluie » désigne la faiblesse des précipitations sur le territoire du Vaucluse. Pour cela, il faut analyser la structure des séquences sèches, correspondant au nombre de jours sans pluie séparant deux événements de précipitations. L’indicateur statistique trouvé est ensuite spatialisé sur le territoire par interpolation.

Un indicateur statistique pour caractériser la faiblesse des précipitations

Pour trouver l’indicateur de faiblesse des précipitations sur le Vaucluse, une analyse statistique de la structure des séquences sèches sans pluie supérieures à un seuil de 3 mm est réalisée. Le choix de 3 mm s’explique par le rapprochement fait avec la norme de l’organisation météorologique mondiale (OMM) qui est de 1 mm pour caractériser les séquences sèches (7). Pour analyser les séquences sans pluie, il faut disposer de données de précipitations. Les données pluviométriques journalières de 8 stations du Vaucluse (Saint Christol, Apt, Avignon, Carpentras, Lapalud, Malaucène, Sault et Orange) ont été prélevées de la base de données de Météo France de 1970 à 2014. Les données pluviométriques des 8 stations ont permis d’extraire 8 séries chronologiques de séquences sèches. L’analyse statistique de la structure des séquences sèches sans pluie sur les séries a montré que les distributions des séquences sèches suivent la loi de Pareto. La loi de Pareto ou loi des 80 – 20 de Vilfredo Pareto (économiste – sociologue) traduit une forte inégalité : « un faible pourcentage d’une population (20 %) représente la plus grande partie (80 %) de la valeur de cette population » (8, p.1). Autrement dit, « ce qui est grand et important se trouve en petit nombre et ce qui est petit et insignifiant se trouve en grand nombre » (9, p.2). Cette loi a permis de bien ajuster les distributions statistiques des séquences sèches. L’analyse avec la loi de Pareto a montré la forte inégalité entre les séquences sèches de longues durées (60 à 110 jours sans pluie supérieurs à 3 mm) qui sont en petit nombre et les séquences sèches de faibles durées (1 à 20 jours sans pluie supérieurs à 3 mm) qui sont innombrables. Les séquences sèches de longues durées sont les plus importantes pour notre étude (80 %), mais leurs effectifs sont faibles (20 %). L’analyse de leur fréquence d’apparition peut permettre d’effectuer des prévisions sur les potentielles situations de pénuries en eau. Avec l’approche de Pareto, un indicateur statistique est trouvé. Il s’agit d’un exposant nommé « m », introduit dans le calcul de la variable normée obtenue avec la formule suivante (3) :

Avec :

  • Ln : logarithme népérien.
  • LR : longueur maximale de chaque séquence sèche.
  • ∑L : somme des longueurs maximales des séquences sèches.
  • M : exposant compris entre 0 et 1.

L’exposant « m » permet d’améliorer la qualité des ajustements. L’exposant « m » est obtenu après plusieurs itérations jusqu’à l’obtention du meilleur ajustement. Cet exposant devient notre indicateur de faiblesse des précipitations. L’indicateur « m » est ensuite cartographié sur le territoire du Vaucluse. La cartographie se base sur une méthode d’interpolation comme pour l’ensemble des phénomènes climatiques continus (précipitations, températures, vents, etc.). Le terme d’interpolation sert à désigner l’ensemble des méthodes de restitution de champs spatiaux continus à partir d’un semis de points (10). Les semis de points sont les 8 stations pluviométriques du Vaucluse pour lesquelles nous avons calculé les valeurs de « m ». Les stations sont géolocalisées à partir d’un système d’information géographique Arc Gis. Les tables attributaires des stations sont renseignées avec la valeur de l’indicateur « m » et l’altitude de la station. La méthode d’interpolation locale de Kernel est choisie et repose sur la prise en compte segmentée de l’information selon les règles de voisinage entre les stations de mesure (3). La méthode consiste à modéliser l’indicateur « m » grâce à des polynômes dont les régresseurs sont les coordonnées des stations (10).

Figure 1 : cartographie de l’indicateur « m » sur le département du Vaucluse (source de données : Géoportail) (3).

La spatialisation de l’indicateur « m » permet d’obtenir la figure 1. On arrive à distinguer un gradient NE-SO de la diminution des précipitations dans le Vaucluse. Les localités les plus sèches sont en rouge (avec des valeurs de l’indicateur « m » proche de 1), vers Avignon et les localités les plus humides sont en bleu (avec des valeurs de l’indicateur « m » faibles proche de 0) vers Savoillan. Le code couleur permet de montrer la variation spatiale de l’indicateur de faiblesse des précipitations (Fig.1). Il semble que la majeure partie du territoire soit sensible aux sécheresses. La partie sud-ouest du département a été la partie la plus sèche durant les 44 années (de 1970 à 2014). La spatialisation de l’indicateur « m » et la connaissance de la probabilité d’apparition des sécheresses sévères permettront aux gestionnaires de gérer les situations de crise en eau. Les actions et les interventions à décréter devront être déployées en priorité dans les secteurs sensibles, c’est-à-dire la partie sud-ouest du territoire. L’identification des secteurs sensibles permet de planifier des actions comme :1- décourager l’afflux massif de touristes en période de faiblesse de précipitations dans les localités sensibles. 2- Informer sur la nécessité de partager la ressource entre secteurs en amont nord-est qui en disposent plus et secteurs en aval sud-ouest qui en disposent moins. Ces solutions réduiront les risques de conflits liés aux usages. Elles permettront d’assurer le maintien des débits réserves pour les milieux aquatiques ainsi que le maintien des activités économiques liées à l’eau.

En conclusion, la méthode d’analyse proposée sur les séquences sèches pour la connaissance de la fréquence d’apparition des sécheresses sévères et l’identification des secteurs sensibles au manque d’eau a été très concluante. Elle donne aux gestionnaires un outil de planification stratégique, l’indicateur « m » afin qu’ils puissent proposer des plans de gestion cohérents et ainsi avoir une longueur d’avance sur les potentielles crises (pénuries) en eau.

RÉFÉRENCES

(1) Martin, P., 2016. Modélisation des longueurs des périodes sans pluies supérieures à différents seuils de la chronique de Marseille (1864 – 2008). Physio géo, 10, 81-104. 

(2) Canovas, I. Kabo, R. et Martin, P., 2014. Criticité des basses eaux en région méditerranéenne française sous forçages naturelle et anthropique : position de recherche.

(3) Kabo, R., 2016. Caractérisation de l’état de basses eaux de la Fontaine de Vaucluse à partir de chroniques longues de précipitations. Mémoire de master 2. Université d’Avignon.

(4) Régions et départements français, 2020. La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) [en ligne]. Régions et départements français. regions-et-departements.fr/region-provence-alpes-cote-d-azur [consulté le 11 août 2020].

(5) Canovas, I., 2016.  Modélisation de la montée vers un état critique de la situation de basses eaux sous forçages naturel et anthropique en région méditerranéenne. Thèse (PhD). Université d’Avignon.

(6) Canovas, I. Martin, P. et Sauvagnargues, S., 2016. Modélisation heuristique de la criticité des basses eaux en région méditerranéenne. Physio géo, 10, 191-210.

(7) Martin, P., 2019. Modélisation Parétienne des longueurs des périodes sans pluies. Mise en œuvre avec des chroniques méditerranéenne. XXXIIeme Colloque Internationale de l’AIC, 499-504.

(8) Office québécois de la langue française, 2020. Loi de Pareto [en ligne]. Office québécois de la langue française. oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/dictionnaires/terminologie_logistique/loi_de_pareto.html [consulté le 11 août 2020].                 

(9) Forriez, M. et Martin, P., 2007. Structures hiérarchiques en géographie : des modèles linéaires aux modèles non linéaires (lois de puissance et corrections log-périodiques). Rencontres Théo Quant, 1-14.

(10) Joly, D. Thierry, B. Cardot, H. Cavailhès, J. Hilal, M. et Wavresky, P. 2009. Interpolation par regressions locales : application aux precipitations en France. Espace géographique, 38 (2), 157 -170.

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